Comité Bourgogne-Franche-Comté
Par AAFC - Comité Bourgogne
Née en 1964 à Yongwol, la sculptrice Lee Bul a réalisé des installations monumentales, se revendiquant de l'architecte allemand Buno Taut. Faisant partie des figures les plus en vue de la jeune scène artistique sud-coréenne, notamment en France, Lee Bul a été présente en 1997 à la Biennale de Lyon, ainsi qu'au Museum of Modern Art de New York. En France, sa première exposition The Monster Show a été organisée au Consortium de Dijon du 20 avril au 13 juillet 2002, puis au Musée d'Art Contemporain de Marseille. Une nouvelle exposition en France s'est tenue du 16 novembre au 27 janvier 2008, On Every New Shadow, à la Fondation Cartier, à Paris. Nous reproduisons ci-après le commentaire de l'exposition de 2002, parue dans la revue Beaux Arts, ainsi que des photos des oeuvres.
Lee Bul née en 1964 à Yongwol (Corée), vit et travaille à Séoul.
Pour sa première exposition personnelle en France, sont rassemblées au Consortium / l'Usine des œuvres récentes appartenant aux séries Cyborgs et Monsters. Avec celles-ci, Lee Bul donne corps au mythe de l'homme-machine, alors que les média font état des dernières prouesses scientifiques en matière de greffes d'organes ou de membres, d'implantation de puces électroniques, de clonage, de pilules pour rajeunir. Entre un confort thérapeutique et le mythe d'un monde gouverné par les machines, ses sculptures interrogent les techniques de remplacement, cristallisant imaginaire, fantasmes et peurs collectives d'une technologie qui prendrait le pas sur l'homme. Après des études à l'Université de Hong-ik et déjà très engagée politiquement, elle co-fonde, en 1987, le groupe d'artistes Museum (qui signifie en coréen "peur"). Ses performances, en réaction à un certain conservatisme de la communauté artistique, mettent en scène son propre corps et affichent sa nudité.Constamment, dans son travail, les questions de genre (et les rapports à la sexualité), rencontrent des éléments autobiographiques.
A partir de 1991, elle utilise des poissons qu'elle décore et orne de perles (Majestic Splendor). Voués à la décomposition et la puanteur, démonstration du caractère éphémère de la beauté, ils renvoient à cette menace du temps qui pèse sur le corps féminin et que parures ou fragrances ne peuvent dissiper. Avec Hydra II (Monument), 1999, elle pousse plus avant la logique de la dualité masculin/féminin. Cette structure gonflable est un monument phallique qu'érige le visiteur en actionnant des pompes, dévoilant progressivement l'image érotisée d'une Lee Bul, vêtue d'un costume oriental et dont le sexe comme les seins sont masqués par des visages de bébés. Très tôt, l'artiste convoque la figure du "monstre", créature hideuse, informe et grotesque. Ainsi en 1990, "Sorry for suffering - You think I'm a puppy on a picnic ?" est une performance où elle se promène dans les rues de Tokyo sous la forme d'une apparition monstrueuse. Si les Monsters comme les Cyborgs appartiennent à l'univers de la science fiction, à la différence de ceux-ci, ils échappent au contrôle de l'homme, laissant planer une menace sur son existence : par exemple,Monste Pink (1998) est une grosse masse (mi-animale mi-végétale), entremêlement de protubérances et de racines envahissantes, à base de rembourrage de coton et de silicone. Inspirée des mangas et des films japonais omniprésents dans la culture coréenne, la série des Cyborgs questionne le mythe de la perfection technologique : Cyborg Blue, Cyborg Red (1997-98) et Cyborg W1-4 (1998) mettent ainsi en scène des êtres hybrides, fragmentés et dotés de pouvoir surhumains, dont le corps se réduit à un simple ensemble d'articulations. Ces "wonder women" futuristes et incomplètes mettent en relief l'étanchéité qui préside à la répartition des fonctions entre les sexes : "… la plupart de ces prétendues technologies scientifiques, la technologie informatique, l'industrie de pointe, etc., ont toujours été considérées comme un domaine réservé aux hommes, en fait, cette attitude est fondée sur l'idée populaire que les femmes ne savent pas se servir des ordinateurs ou qu'elles ne construisent pas des objets de haute technologie."(1) A travers la figure ambiguë du cyborg, Lee Bul révèle et analyse l'image de la femme avec un ensemble de références allant de l'histoire de l'art occidental (telles que l'Olympia de Manet ou encore La naissance de Venus par Botticelli), jusqu'à sa représentation contemporaine dans la culture asiatique. Figés dans des poses intemporelles, les cyborgs incarnent les icônes contemporaine de la féminité. Réalisés en silicone, et ce n'est pas par hasard — c'est la matière fétiche de la technologie chirurgicale — ils renvoient à l'idéal de beauté féminine d'un corps gonflé, fabriqué sur mesure et aux lignes parfaites. Une promesse de bonheur néanmoins soumise aux désirs masculins. Les cyborgs restent avant tout des créatures sous contrôle d'un maître, un programmateur qui dirigera tous leur actes et fonctions.
Enfin, Amaryllis (1999), Supernova (2000) ou Siren (2000) évoquent davantage la machine, l'alien ou l'intelligence artificielle. En opérant la synthèse entre Monsters et Cyborgs, elles s'offrent comme la combinaison plastique d'une prolifération de rhizomes et d'une configuration de lignes pures, aseptisées.
1. Lee Bul, "Cyborg et silicone", entretien avec Hans Ulrich-Obrist
L'artiste coréenne Lee Bul n'a pas peur des monstres. Elle se tient au carrefour des mythes de son pays et des légendes post-modernes pour créer des êtres cyberfantastiques mais aussi des installations de poésie éphémères. Elle arrive à Dijon, au Consortium.
Sous une chaleur humide écrasante, à peine tempérée par une brise de montagne, à deux pas d'un cimetière caché dans les arbres, un étang bordé de lotus millénaires accueille une créature scintillante en lévitation sur les eaux. Lee Bul, invitée à la dernière triennale d'Echigo, Tsumari au Japon, avait choisi ce site pour y installer sa sculpture Crush, une déesse de verre et métal argenté. Elle avait initialement opté pour un autre étang peuplé de carpes dodues et de poissons rouges géants qui a dû être abandonné car, aux dires des villageois, l'étang était hanté par un esprit qui ne pouvait cohabiter avec une présence étrangère de même nature. Car, il faut le savoir, l'univers de Lee Bul, artiste coréenne, née en 1964 et vivant à Séoul, est peuplé de créatures et de monstres pré- et posthumains. Au carrefour de mythes coréens et de légendes post-modemes, Lee Bul se tient, depuis plus d'une décennie, à la tête d'une étrange cohorte. Dans un environnement socio-politique de fin de dictature militaire et de boom économique qui va transformer un pays rural en une contrée marchande et industrielle, les débuts artistiques de Lee Bul se situent en réaction, à la fois contre un bon goût bourgeois pour un minimalisme édulcoré et un art politique à mi-chemin de l'agit-prop et du réalisme socialiste. Mettre son corps en lieu et place de l'œuvre devient une réelle alternative qu'elle organise par des performances où la nudité affichée et outrée par des artifices kitsch heurtait de plein fouet une société confucéenne rigide. En 1990, travestie en un monstre protéiforme fait de rembourrage de coton se déployant en des tentacules innombrables pour une performance séminale Sorry for Suffering – You Think I’m a Puppy on a Picnic? Lee Bul va déambuler 12 jours durant, depuis l'aéroport de Séoul jusqu'à Tokyo. Quelques années plus tard, des dépouilles de ce monstre prendront corps en des sculptures rose ou noire (Pink Monster, 1998 ; Black Monster, 1998) initiant une série d'œuvres «monstrueuses ». Il est rare, dans l'art d'aujourd'hui, d'en venir à considérer des sculptures comme les rejetons de l'artiste. C'est le cas de Lee Bul. Il n'est qu’Annette Messager, et dans un tout autre registre, qui montre un attachement aussi fort à ses créations jusqu'à les rendre réelles.
L’alignement, pour l'exposition au Consortium à Dijon, d'une dizaine de ces monstres, tous pendus au plafond, et pour la première fois réunis, procure l'occasion d'une traversée dans l’œuvre qui voit, de l'infra-humain, jaillir des créatures anthropomorphes sexuées (Cyborgs) se prolongeant dans le post-humain des aliens volants (Amaryllis, Siren, Crysalis). C'est Manfred Clynes, un neurologue, qui en 1960 créa le mot « cyborg » (de cybemétique et d'organisme), pour un article commandé par la Nasa et rédigé avec son collègue Nathan Kline, au sujet de l'adaptation de l'humain dans l'espace. Il y a toujours l'ombre portée du militaire à l'origine des rêves libérateurs. Encore et toujours Robocop, même si la plastique peut être celle de Lara Croft. Dans la série des « Cyborg I-V » (1998-1999), Lee Bul a assemblé des fragments humains redessinés, blanchis et lisses. Entre l'armure médiévale à qui, à bien des égards, a tout du cyborg design au métal astiqué – et qui a su résoudre le point le plus compliqué qui est l'articulation entre les membres, et la Madonna de 1995 au bustier caparaçonné par Jean-Paul Gauthier, il y avait une place pour les rêves d'amazone cyberpunk. Paraphrasant le Love Forever de Yayoi Kusama, en un Live Forever, Lee Bul est passée, depuis 1999, à une autre phase dans ses recherches : le karaoké centripète. Une cabine capitonnée où l'on s'isole pour se chanter les vieux standards pop alors qu'une vidéo projetée fait batifoler érotiquement les schools girls coréennes en uniforme. Le dernier avatar de cette série a pris la forme d'une capsule profilée comme les concepts-cars de salon automobile. S'il y avait un cyberféminisme, Lee Bul en serait la wonderwoman.
Texte de Seungduk Kim in Beaux Arts n° 216, mai 2002.
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