Après la fin de la colonisation japonaise de la Corée (1910-1945), de nombreux Coréens sont restés dans l’archipel nippon, lequel abrite aujourd’hui une communauté coréenne d’environ 700 000 personnes. Ayant dû choisir entre la citoyenneté de l’un ou l’autre des Etats coréens, les Coréens du Japon ont aujourd’hui la nationalité sud-coréenne (65 %) ou nord-coréenne (35 %). Alors que la reconnaissance des droits nationaux des Coréens du Japon constitue toujours un combat permanent, les sanctions prises contre le Japon depuis 2006 ont frappé en premier lieu la communauté nord-coréenne de l’archipel. L’AAFC exprime sa solidarité avec les Coréens du Japon pour la reconnaissance de leurs droits nationaux et du respect des droits de l’homme les concernant.
La présence de Coréens au Japon est un héritage de la brutale colonisation japonaise de la Corée (1910-1945), laquelle a nié l’identité coréenne en forçant les Coréens à adopter la langue et un nom japonais, tandis que le Japon refuse toujours de s’excuser pour la prostitution forcée des « femmes de réconfort » coréennes pendant la Seconde guerre mondiale.
Les migrations de Coréens au Japon, volontaires ou forcées, ont commencé principalement après la répression du mouvement d’indépendance coréen du 1er mars 1919. Employés surtout dans l’industrie et les mines, les Coréens du Japon ont connu les conditions de vie les plus difficiles parmi l’ensemble des Coréens d’outre-mer. Alors que le Japon n’a pas de culture d’acceptation des minorités, de nombreux Coréens furent massacrés après le tremblement de terre de Kando le 1er septembre 1923, suite à une rumeur prétendant que les Coréens avaient empoisonné l’eau d’un puits pour tuer des Japonais.
Les flux migratoires augmentèrent de manière continue pendant la colonisation japonaise, le déclenchement du second conflit mondial ayant entraîné la mobilisation forcée de centaines de milliers de Coréens dans l’armée, les mines et les industries, notamment d’armement.
Lors de la capitulation japonaise, en 1945, plus de deux millions de Coréens vivaient dans l’archipel nippon. Si un grand nombre d’entre eux choisirent le rapatriement, à l’instar de leurs compatriotes installés en Chine et en Russie, 600 000 Coréens restèrent au Japon où ils ont continué à subir différentes formes de discrimination.
Selon le gouvernement sud-coréen, 696 811 Coréens résidaient au Japon en 1993 (auxquels s’ajoutaient 32 776 résidents non permanents), principalement dans les provinces d’Osaka (249.255), de Tokyo (149 001), de Kobe (83 653) et de Nagoya (77 152).
Discrimination et division de la communauté coréenne
L’organisation de la communauté coréenne du Japon en associations fortement organisées est née de la nécessité de préserver une identité propre et de faire face aux besoins de la vie quotidienne, comme l’accès à une éducation en coréen ou aux services bancaires. La fermeture par le gouvernement japonais de l’ensemble des écoles en langue coréenne (qui ne sont toujours pas reconnues comme des établissements scolaires) en 1949, et plus généralement les restrictions aux droits des Coréens du Japon, ont été mises en place avec le soutien de l’occupant américain aux autorités japonaises, le Commandement Suprême des Forces Alliées (SCAP). C’est notamment le SCAP qui a adopté, le 1er novembre 1945, les mesures limitant le montant des sommes et les bagages que pouvaient emporter avec eux les Coréens retournant dans leur patrie.
La minorité qui a choisi l’assimilation a été obligée d’adopter un nom et un mode de vie japonais, après avoir produit plus de seize documents administratifs. Les mariages mixtes entre Coréens et Japonais, bien qu’en hausse (55 % en 1979), restent socialement mal perçus par la société japonaise.
La division de la Corée s’est reproduite au sein de la communauté coréenne du Japon :
· - L’Association générale des résidents coréens du Japon (en coréen : Chae Ilbon Chosonin Chongryonhaphoe, généralement abrégée en Chongryon ; en japonais : Chosen Soren) a été fondée, suite au regroupement de plusieurs association d’inspiration socialiste (notamment la Choryon), le 25 mai 1955 par Han Deok-su (ci-contre : cérémonie à Tokyo, en mai 2005, à l'occasion du 50ème anniversaire de la fondation de la Chongryon) ; ses membres sont citoyens de la République populaire démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord) ; les activités de la Chongryon sont basées sur les idées du juche ;
- l’Union des résidents coréens du Japon (en coréen Chae Ilbon Taehan Minguk Mindan, généralement abrégée en Mindan ; en japonais : Zai-Nihon Daikanminkoku Mindan) a été fondée en 1946, suivant une orientation anticommuniste ; les Coréens de la Mindan sont citoyens de la République de Corée (du Sud).
Alors que 90 % des Coréens du Japon étaient originaires du sud de la péninsule, les membres de la Mindan représentent aujourd’hui 65 % de la communauté coréenne du Japon, contre 35 % pour la Chongryon. Cette surreprésentation de la Chongryon par rapport aux origines géographiques de ses membres s’explique notamment par le fait que, contrairement à la Corée du Nord, il n’y a pas eu d’épuration administrative des anciens collaborateurs du gouvernement japonais en Corée du Sud. Alors que de nombreux Sud-Coréens du Japon ne parlent plus que japonais, la Chongryon a davantage préservé la culture et la tradition coréennes, notamment à travers un réseau d’éducation en coréen plus développé que la Mindan.
Chacune des deux associations compte aussi ses propres organisations de jeunesse et de défense des femmes, ainsi que des associations professionnelles, une chambre de commerce (incluant également la fourniture de services sociaux, par exemple face aux refus de propriétaires japonais de louer à des Coréens) et une union commerciale. Hormis quelques journaux neutres, les titres de presse sont pro-Mindan (dont un quotidien) ou pro-Chongryon (parmi lesquels trois quotidiens).
La guerre de Corée a accentué les antagonismes entre les associations d’inspiration socialiste et la Mindan anticommuniste : alors que les premières ont procédé à des actions de guérilla antiaméricaines sur le sol japonais, la seconde a enrôlé des volontaires (qui ont formé la 7ème division des Troupes américaines) pour combattre avec les troupes des Nations-Unies sous commandement américain.
La RPD de Corée a apporté un soutien actif aux écoles de la Chongryon après la guerre de Corée : en avril et en octobre 1957, des dotations de 221 millions de yen ont permis d’organiser plus de cent écoles, du primaire à l’université). Environ 100 000 Coréens du Japon émigrèrent ensuite en RPD de Corée, principalement entre 1959 et 1962, avec le soutien de la Chongryon, et malgré la vive opposition de la Mindan qui essaya de s’opposer à leur départ pour la Corée.
Le traité nippo–sud-coréen de 1965, qui a normalisé les relations entre les deux Etats, a été adopté malgré l’opposition non seulement de la Chongryon, mais également de la Mindan, jugeant insuffisant le nouveau statut de résident permanent.
Le 15 août 1974, le Président sud-coréen, le général Park Chung-hee, échappe à Séoul à un attentat du Coréen du Japon Mun She-kwang, originaire d’Osaka, membre de la Chongryon. La femme du général Park meurt. L’état d’urgence est déclaré à Osaka, où des combats de rue entre Coréens conduisent la Mindan à attaquer le bureau régional de la Chongryon.
En dépit de ces relations conflictuelles entre Mindan et Chongryon, les Coréens du Japon ont progressivement développé des liens personnels. Le 17 mai 2006, un accord historique a été signé entre le Président de la Chongryon, So Man-sul, et son homologue de la Mindan, Ha Byung-ok, au terme duquel les deux organisations s’engageaient sur la voie de la réconciliation et de la réunification de la Corée, sur la base de la déclaration conjointe du 15 juin 2000. Mais la Mindan a ensuite exclu son Président Ha Byung-ok en critiquant vivement cet accord.
Conformément à la loi d’enregistrement des étrangers, les Coréens du Japon doivent être enregistrés à partir de 14 ans puis tous les trois ans et à chaque changement de domiciliation. Les Coréens du Japon ont également une carte d’identité spéciale. Le relevé obligatoire des empreintes digitales qui leur est imposé est par ailleurs réservé aux seuls délinquants japonais.
Le rapatriement en Corée est obligatoire en cas de condamnation à une peine de prison d’au moins six années. Cette disposition a aussi été détournée pour des rapatriements forcés de Coréens pauvres ou handicapés mentaux.
Les Coréens n’ont le droit d’occuper aucun emploi public. Bien que soumis aux mêmes impôts que les Japonais, ils restent exclus du bénéfice de la moitié des prestations sociales ouvertes aux Japonais. Ces discriminations fondées sur la nationalité sont contraires à la Convention internationale des droits de l’homme, ratifiée par la Diète japonaise en 1979.
Faute de sanction de telles discriminations dans la loi japonaise, les écoles privées et les universités peuvent refuser l’accès des étudiants coréens. Les brimades et les abus ont conduit des suicides, notamment lors de l’affaire Lim Hyun-il en septembre 1979 : étudiant de père coréen et de mère japonaise, il s’est suicidé après des viols collectifs commis par ses camarades de classe, et décrits dans son journal intime.
Parmi les discriminations à l’embauche, le cas de Park Chong-suk est le plus célèbre : embauché par Hitachi en 1970, l’entreprise est revenue sur sa décision lorsque la consultation de son registre familial a fait apparaître qu’il était coréen. Après une campagne de protestation internationale et de boycott d’Hitachi, un jugement favorable à Park Chong-suk a forcé Hitachi à l’embaucher en lui versant des arriérés de salaires.
L’affaire Hitachi a conduit à développer les campagnes civiques pour l’égalité des droits des Coréens du Japon, en particulier dans le domaine social et contre le relevé obligatoire des empreintes digitales. Elle a conduit également à une réaffirmation de l’identité coréenne, en particulier culturelle et linguistique, notamment parmi les plus jeunes générations au sein de groupes d’entraide entre étudiants. Les Coréens du Japon, dont certaines familles sont établies dans l’archipel depuis près de 90 ans, ont aussi conduit des campagnes nationales pour l’obtention du droit de vote aux élections provinciales.
Les discriminations dont sont victimes les Coréens du Japon conduisent cependant la majorité à dissimuler leur identité coréenne, par exemple en utilisant un nom japonais dans les actes de la vie quotidienne.
A ces discriminations qui touchent l’ensemble de la communauté coréenne du Japon, se sont ajoutées les sanctions prises par le Japon contre la RPD de Corée après l’essai nucléaire nord-coréen du 9 octobre 2006, et qui visent en premier lieu la Chongryon :
· interdiction des voyages par ferry entre la Corée et le Japon, empêchant de nombreux Coréens du Japon, notamment les personnes âgées et handicapées, de se rendre dans leur pays, la RPDC, compte tenu également du coût quatre à cinq fois plus élevé du transport par avion ;
· remise en cause du régime d'exonération fiscale des bâtiments de la Chongryon (ci-contre, le siège de la Chongryon) ;
· descentes de police dans les établissements de la Chongryon, y compris les écoles, sous couvert de lutte contre le terrorisme ou de non-respect des règles fiscales, alors que d'ordinaire de telles infractions supposées donnent lieu préalablement à des règlements amiables ;
· interdiction de manifestations culturelles ;
· entraves à l'aide qu'a voulu apporter l'Association des résidents coréens du Japon à la RPDC après les très graves inondations d'août-septembre 2007 dans ce pays...
Ces mesures prennent place dans un contexte de multiplication des atteintes aux personnes et d'intimidations (par exemple, la destruction des bureaux de la Chongryon à Okayama par un incendie criminel), mollement réprimées par les autorités japonaises. Le 16 septembre 2006, le Président de la Chongryon a par exemple été destinataire d'une lettre de menaces contenant, à l'intérieur, un doigt coupé.
Face à la multiplication des atteintes aux droits de l'homme, qui ont conduit la Chongryon à saisir le conseil des droits de l'homme des Nations-Unies, l’AAFC a exprimé, par lettre, son entière solidarité avec les Coréens du Japon, refusant qu'ils soient pris en otage par le gouvernement japonais dans ses relations avec la RPDC.
Plus généralement, l’AAFC plaide pour la pleine reconnaissance des droits nationaux et des droits de l’homme des Coréens du Japon.
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Principale référence : Lee Kwang-gyu, Overseas Koreans, Jimoondang Publishing Company, Korean Studies n° 19, Seoul, 2000. ISBN 89-88095-18-9.
Photos : AP
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