Les Coréens du Japon forment une communauté de plus de 700 000 personnes qui, dans leur immense majorité, n'ont pas la citoyenneté japonaise mais un statut de "résidents permanents", c'est-à-dire d'étrangers amenés à résider en permanence dans l'archipel nippon. Parmi eux, ceux qui ont la nationalité nord-coréenne sont affiliés à l'Association générale des résidents coréens au Japon (acronyme coréen : Chongryon) qui constitue un objet de fascination et d'étonnement pour les journalistes occidentaux : comment les résidents d'un pays dit libre peuvent-ils s'identifier au pays le plus vilipendé de la planète par ces mêmes médias occidentaux ? C'est à cette interrogation que s'est efforcé de répondre le court documentaire (moins de 17 minutes) anglophone réalisé par Redfish, entreprise de médias collaborative spécialisée dans les documentaires d'investigation choc allant à contre-courant. Nous présentons ci-après "Homegrown Outcasts : North Koreans in Japan" (Des nationaux exclus : les Nord-Coréens au Japon).
Difficile de présenter de manière succincte l'origine de la présence nord-coréenne au Japon et la diversité des opinions de ses membres : c'est pourtant le tour de force que réussit Redfish, en remontant aux origines de la colonisation japonaise de la Corée jusqu'aux discriminations actuelles, en interrogeant directement - et sans leur couper la parole ni juger ou détourner leurs propos - plusieurs membres de la Chongryon.
Un intérêt majeur de la démarche des auteurs est également d'avoir dépassé la vision misérabiliste et victimaire : les Coréens du Japon sont fiers d'être ce qu'ils sont, et d'avoir conquis leurs droits par leurs luttes qui sont replacées dans un cadre plus général, à portée universelle - le combat pour les droits civiques auxquels a droit tout être humain. Sont ainsi mises en évidence les implications d'une conception ethniciste de la nation dans un Japon où les fantômes du passé impérialiste restent omniprésents. Cette résistance à l'adversité, qui a aussi développé un complexe d'infériorité, est le ciment qui fonde l'unité de la communauté.
Le documentaire ne cache pas les portraits des dirigeants nord-coréens, mais relativise leur place : ce sont des figures respectées incarnant la nation. Il n'y a pas de "lavage de cerveau" des Nord-Coréens au Japon, mais au contraire une approche critique des médias particulièrement développée pour les habitants d'un pays à régime de démocratie libérale, parlant tous japonais. Les préoccupations sont basiques : travailler (d'où l'essor du secteur du pachinko, les Coréens occupant les métiers méprisés par les Japonais), enseigner (la Chongryon est fière, à juste titre, de son cursus universitaire complet en coréen, le seul au Japon à ne pas bénéficier de subventions publiques), et vivre en sécurité : dès qu'ils quittent le campus, les étudiants troquent leurs costumes contre d'autres habits pour ne pas être identifiés comme Coréens et être victimes d'agressions...
On découvre aussi l'attachement profond des membres de la Chongryon à la terre de leurs ancêtres (la notion de "terre natale", propre à tous les Coréens, du Nord, du Sud ou de la diaspora) qui, le plus souvent, se trouve pour eux dans les provinces... de l'actuelle Corée du Sud.
Evidemment, le format volontairement court du documentaire ne permet pas d'aborder en détail l'historique des discriminations ni toutes ses formes actuelles (en partie liées aux sanctions japonaises prises unilatéralement contre la Corée du Nord, les implications géopolitiques récentes n'étant guère abordées dans un film mettant l'accent sur l'aspect sociologique des luttes). Certains points sont ainsi passés sous silence, comme le fait que des Sud-Coréens du Japon suivent les cours des établissements de la Chongryon ou encore que les membres de la communauté partant à l'étranger choisissent souvent un passeport... sud-coréen, pour pouvoir voyager, tout en continuant de se considérer comme Nord-Coréens.
Pour qui veut comprendre ce que signifie être Nord-Coréen au Japon, le documentaire de Redfish apporte des clés pour comprendre l'essentiel, et aller ensuite plus loin pour ceux qui le souhaiteraient.
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